Un classique littéraire, qu’est-ce que c’est ?

Tout vrai créateur est classique, assure le très classique dramaturge roumano-français Eugène Ionesco dans ses notes et contre-notes. Mais encore ? ai-je envie de répondre. Puisque lorsqu’il est question d’évoquer la littérature, l’on parle souvent de classiques, pour désigner des ouvrages qui font autorité dans leur domaine. Qu’il s’agisse de librairies ou de bibliothèques, chaque infrastructure possède son rayon dédié. Pourtant, vous est-il déjà arrivé, comme moi, de vous demander ce qu’est un classique ? Avez-vous parfois songé à savoir ce qui différencie un classique d’un chef-d’œuvre ? Je me suis posée ces questions, et je m’en suis référée à un écrivain et enseignant de français, Jules Degni. Le président du groupe Efrouba pour la culture et commissaire de Miss Littérature Côte d’Ivoire a bien voulu compléter de sa science mes recherches sur le sujet.

Jules Degni

D’abord, comment se définit un classique littéraire ?

Un classique, au sens général, est un artiste ou une œuvre d’art qui fait autorité dans son domaine. Au sens littéraire  restreint, le mot « Classique » désigne une écriture appartenant à une époque particulière: celle du 17ème siècle. Ce mot a fait sa mue pour désigner au sens large une œuvre qui fait école, une œuvre de référence qui inspire les néophytes de par sa littérarité et ses idées fortes. Pour l’écrivain et dramaturge français Jules Renard, un classique, c’est un écrivain qui veille sur la tradition. Et l’écrivain et essayiste américain Mark Twain de trancher : un classique est quelque chose que tout le monde voudrait avoir lu, et que personne ne veut lire.

Les classiques africains

En Afrique, une œuvre telle  » l’aventure ambiguë » de Cheick Amidou Kane peut être considérée comme un classique selon Jules Degni. Et j’ajoute, tenant compte des classements de différents sites et critiques, et pour ceux que j’ai lus (la liste n’est donc pas exhaustive) : Le pagne noir de Bernard Dadié, Peau noire, masques blancs de Franz Fanon, Une vie de boy de Ferdinand Oyono, Trois prétendants… Un mari de Guillaume Oyôno-Mbia, Le lion et la perle de Wolé Soyinka, Un piège sans fin de Olympe Bhêly-Quenum ou encore Une si longue lettre de Mariama Bâ. Vous pouvez compléter la liste, avec de meilleurs titres… Vous l’aurez noté, nombre de ces livres sont des chefs-d’œuvre. Et justement :

Des chefs-d’œuvre et des classiques

Il y a bel et bien une différence entre un chef-d’œuvre et un classique, assure Jules Degni. Même si, selon lui, le classique peut aussi être un chef-d’œuvre, une œuvre contemporaine qui est considérée comme telle, peut susciter des divergences de vue. L’originalité, la créativité, l’innovation littéraire peuvent constituer des critères d’appréciation de la beauté d’une œuvre, mais comme la beauté physique, l’appréciation est relative. Or le classique emporte l’unanimité.

Un classique : une œuvre étudiée en classe ?

Pas forcément, répond l’auteur. Toute œuvre étudiée en classe n’est pas forcément un classique. Il y a bien des œuvres étudiées dans nos écoles qui ont été imposées à cause de leurs thèmes qui cadrent avec le milieu scolaire ou des thèmes d’actualité.

Les faiseurs de classiques

Ce sont les lecteurs qui font les classiques. Un classique est une œuvre plébiscitée grâce à la force des idées et de la beauté de l’écriture. Les classiques sont des œuvres qui traversent le temps et l’espace, complète Jules Degni. Pour Alain Viala (Qu’est-ce qu’un classique ?), l’école joue un rôle clef dans la désignation des classiques, mais il y aussi l’édition et la recherche animées par des professeurs, ainsi que différentes institutions telles que la critique, les académies, les cénacles, les salons et autres institutions de la vie littéraire. C’est ainsi que des auteurs contestés de leur vivant, peuvent devenir classiques ensuite, tout comme de grandes vedettes contemporaines peuvent ensuite tomber dans l’oubli.

Une œuvre contemporaine peut devenir un classique

En mon sens, une oeuvre contemporaine peut devenir un classique si elle prend le temps qu’il lui faut pour sa maturation, indique Degni. Car il faut donner du temps aux lecteurs avertis pour déguster sa littérarité et la force de ses idées. Et Viala de compléter que Racine et Voltaire ont bien été classicisés de leur vivant.

Apport des classiques à la construction littéraire

Pour Degni, les classiques doivent être des  catalyseurs de connaissances philosophiques, culturelles et religieuses ; ils doivent avoir un pouvoir cathartique et didactique sur le lecteur.

Que dois-je faire pour écrire un classique ? Que doit faire un écrivain désireux d’écrire un classique ?

Un écrivain désireux d’écrire des classiques doit s’inspirer des anciens et il en existe dans l’histoire de la littérature africaine, note Degni,. L’écrivain doit donc prendre le temps pour sculpter son œuvre tant dans les thèmes abordés que dans l’écriture. Ce sont les lecteurs qui font le vote avec le temps. Les œuvres écrites à la hâte avec souvent des incorrections ne peuvent prétendre être des classiques.

J’invite les écrivains à donner du coffre à leurs écrits pour qu’elles soient pérennes. Des œuvres naissent et meurent précocement pour la simple raison qu’elles n’accrochent pas les lecteurs. Il faut qu’une œuvre transcende le temps et l’espace. Soyons des écrivains et non des « écrivailleurs ».

Rien à ajouter, sinon, le bon mot de l’écrivain espagnol Azorin Un auteur classique est un auteur sans cesse en train de se former.

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