Une préface, qu’est-ce que c’est ?

Nombre d’auteurs qui débutent dans la littérature, après s’être demandé Comment écrire un roman – et résolu la question – n’ont généralement pas tôt fait de finir leur manuscrit qu’ils y pensent : à la préface. Elle est censée adouber un écrivain, lui dresser le tapis rouge pour entrer dans le cœur du lecteur potentiel, et faire de son ouvrage, pourquoi pas, un classique littéraire. Alors, ils cherchent et trouvent – dans leur tête – l’homme ou la femme idoine pour sublimer leur livre, l’imposer dans le landerneau littéraire comme l’œuvre d’un écrivain avec lequel il faudra désormais compter. Il advient donc, par suite logique, que des auteurs reconnus croulent la plupart du temps sous moult demandes de préfaces. Ceux qui jouent le jeu sont alors dits préfaciers de tel ou tel autre auteur. Mais la préface, de quoi elle retourne ? D’où vient-elle, à quoi sert-elle, peut-on s’en passer, qu’y gagnent et le préfacier, et le préfacé ? Je n’avais que des questions, alors, j’ai fait mon armchair detective, ma Miss Marple, et j’ai enquêté. Grande veinarde devant l’éternel, j’ai bénéficié de l’aide inestimable de Pénélope Natasha, philosophe, autrice et biographe qui, en bon inspecteur Craddock, m’a servi de fil d’Ariane, pour démêler l’écheveau de ce texte visiblement aussi vieux que la littérature.

Étymologiquement, le mot préface vient des latins prae (avant) et de fari (parler). Pénélope Natasha la définit comme un écrit permettant d’introduire un livre. Souvent rédigée par une autre personne que l’auteur, elle est, en général produite par une personnalité de renom. La préface se trouve donc au début du livre (son étymologie l’y oblige) et donne un aperçu du contenu ainsi que des motivations de l’auteur. Elle fait partie de ce que l’on appelle le paratexte, tous ces écrits qui entourent une œuvre principale, sans en faire partie. Comme l’explique Nathalie Kremer dans un article[*] consacré aux préfaces, avant-propos, avertissement, avis, discours préliminaire, examen, exorde, introduction, note, notice, préambule, préface, prélude, présentation, prière d’insérer, proème, prolégomènes, prologue sont tous répertoriés dans le paratexte. 

Pour ce qui concerne spécifiquement la préface, l’on distingue la préface traditionnelle – rédigée par une personne autre que l’auteur de l’ouvrage préfacé – et la préface écrite par l’auteur même du texte principal. Dans le cas de la préface traditionnelle, le texte, rédigé par un auteur réputé, considéré comme une référence dans son domaine, a pour fonction de conférer une crédibilité au récit, de l’entériner en quelque sorte. Sa rédaction est confiée à un auteur chevronné pour ce qui est des textes de fiction. Pour les essais, l’on fera appel par exemple à un général de l’armée pour un essai dans ce domaine (ce que j’ai fait pour de mon essai intitulé Le vert, le rouge et le noir), un juge par exemple pour un essai sur la justice, etc. L’objectif ici est d’apporter une crédibilité supplémentaire au texte principal. Certaines préfaces sont parfois rédigées par des auteurs confirmés qui viennent dire toute leur admiration pour un autre auteur consacré, un pair. En ce qui relève de la préface rédigée par l’auteur lui-même, elle vise surtout à fournir des informations sur le contexte de rédaction de l’œuvre. Elle est ainsi très utile pour les dramaturges par exemple, à cause des contraintes strictes du théâtre, qui ne leur permettent pas d’apporter certaines précisions sur leur démarche artistique dans le corps de leur texte. Nombre de préfaces viennent aussi lors de la réédition d’œuvres, pour répondre à des polémiques. Certaines préfaces, écrites après la mort du géniteur de l’œuvre, visent à lui rendre hommage pour son talent.

Le grand paradoxe de la préface tient au fait que, bien que figurant au début d’une œuvre, elle est en général rédigée quand l’ouvrage est terminé. La chose tombe sous le sens quand il s’agit d’une préface écrite par une personne autre que l’auteur. Mais en général, même les préfaces rédigées par l’auteur lui-même le sont quand le livre est fini, et même parfois après une ou plus éditions comme on l’a vu. Ce préalable posé, une bonne préface se veut amicale. Il ne s’agit pas d’un exercice de critique littéraire, donc la caractéristique principale ici, c’est la bienveillance, même si le ton doit rester sincère. Pour Pénélope Natasha, contextualisation, clarté, concision, mise en avant du sujet traité doivent rester les maîtres-mots de ce texte. Mais il arrive que des auteurs exigent rétribution en contrepartie de la rédaction d’une préface, pratique quelque peu répréhensible pour les puristes de la littérature, dont semble être Pénélope Natasha puisqu’elle estime que la rédaction de la préface est avant tout un service rendu, et ne doit pas être rémunérée.

Dans tous les cas, la préface vise à donner des informations sur le texte à venir, répondre à des polémiques, situer le texte dans son contexte de rédaction, donner des indications sur la façon de le comprendre (alerte spoiling !), etc. Bien que souvent produite par des auteurs, elle peut aussi être l’œuvre d’un traducteur, d’un éditeur ou d’un agent littéraire. Il peut arriver qu’une préface contribue à rendre un livre plus célèbre, mais sous certaines conditions : « cela dépend de qui écrit la préface » indique Pénélope Natasha. Une préface bien conçue pour un livre bien écrit peut jouer un rôle important dans la promotion d’un livre assure-t-elle par ailleurs. Et de nuancer : la préface peut être importante ou enrichissante dans certains cas, mais pas indispensable. De pas indispensable à franchement inutile, il n’y a qu’un pas que franchit le romancier Joris-Karl Huysmans dans sa … préface à son roman En route quand il déclare : Je n’aime ni les avant-propos, ni les préfaces, et autant que possible, je m’abstiens de faire devancer mes livres par d’inutiles phrases. Des phrases inutiles ! Vraiment ? Alors, préface or not préface ? Pas de préface, notamment pour les fictions, répond la philosophe. Why not, si l’on est content, dis-je, moi. Surtout si elles sont aussi littérairement intéressantes que Le roman… Mais je les découvrirai toujours APRÈS avoir lu l’œuvre. Les postfaces aussi, d’ailleurs. Logique, vous dites ? On est d’accord !


[*] Kremer, Nathalie. « Préfaces. État de la question : de la présentation à la représentation ». L’art de la préface au siècle des Lumières, édité par Ioana Galleron, Presses universitaires de Rennes, 2007, https://doi.org/10.4000/books.pur.29089.

5 réflexions sur “Une préface, qu’est-ce que c’est ?

  1. Article intéressant et bien écrit qui peut valablement édifier toute personne cherchant à savoir ce que l’on appelle une préface.

    Comme l’autrice de cet article, j’ai été aussi influencé par la préface que Maupassant a faite pour son roman Pierre et Jean. Une préface intitulée « Roman ». Elle m’a inspiré dans le préfaçage de mon poème lipogrammatique de 92 pages Dancing with Coronavirus (a poem without letter E).

    En effet, j’ai fait une préface de 3.500 mots intitulée « What is a lipogram? » Dans cette préface également lipogrammatique (en l’occurrence sans la lettre E comme le poème lui-même), j’ai expliqué et tracé l’histoire du concept de lipogramme ; j’ai parlé des auteurs célèbres et de l’utilité du lipogramme ; et j’ai exposé la polémique autour de l’écriture des lipogrammes…

    En résumé, ce que j’ai appris avec la préface de Maupassant et que j’ai déjà appliqué comme Carmen, c’est que pour faire une préface, plutôt que d’encenser un auteur, on peut prendre un thème en lien avec l’œuvre à préfacer et le développer.

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  2. J’ai beaucoup aimé lire cet article. Il apporte une appréciation particulière à la préface et à son utilisation dans le domaine littéraire. Personnellement, j’aime lire les préfaces des livres que je veux lire pour avoir une idée, un avis d’une autre personne sur le livre. C’est une forme de littérature entière qui me permet de me plonger complètement dans la lecture. Après, à la fin de ma lecture, je me fais ma propre religion sur l’œuvre lue.

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    • Merci beaucoup pour ce retour très pertinent et gratifiant. La préface est effectivement une forme de littérature à part entière. Nous allons continuer à nous nourrir des oeuvres et de leurs préfaces si elles sont disponibles, et avec beaucoup de plaisir !

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  3. Merci beaucoup pour ce retour très pertinent et gratifiant. La préface est effectivement une forme de littérature à part entière. Nous allons continuer à nous nourrir des oeuvres et de leurs préfaces si elles sont disponibles, et avec beaucoup de plaisir !

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