Mon mars féminin 1

REGARD DE FEMME SUR LES FEMMES

Clarisse Nomaye dans le roman « Une famille absolument »

Si le mois de mars est consacré aux femmes, je me propose de présenter dans un certain nombre d’œuvres, le regard que les romancières portent sur les femmes par le biais de leur plume. Il m’a, en effet, parut intéressant, de visiter la façon dont les femmes perçoivent leurs semblables, la façon dont elles projettent la (leur) féminité, en campant des personnages féminins dans leurs romans. Pour ce premier numéro, je m’intéresse au roman « Une famille absolument » de la tchadienne Clarisse Nomaye.

De quoi parle l’auteure ?

Clarisse Nomaye peint dans ce roman, le portrait d’une jeune femme, Rita, qui, suite à des erreurs de jeunesse essaie grâce à un mariage, de se racheter une réputation dans la société. Elle sera pourtant rattrapée par son passé et elle devra faire le deuil, non seulement de ces noces idéalisées mais également de sa fille. À travers cette histoire, Nomaye présente un kaléidoscope de portraits de femmes, dont je retiens ici cinq principaux.

1. Rita, l’amoureuse du mariage

Elle est l’héroïne du roman. C’est une femme qui conditionne son bonheur au mariage. Après de nombreux déboires, elle croit trouver l’amour dans les bras de Bornon. Surtout, avec lui, elle peut enfin « se marier comme les autres », puisqu’il n’est pas facile de « trouver un mari à 35 ans ». Toute sa vie pourtant, elle devra payer cette faute commise à l’adolescence, cet enfant qu’elle a eu hors mariage, et qu’elle a eu la mauvaise idée de cacher.

Ici, la romancière brosse le portrait d’une africaine victime de préjugés séculaires, qui sont renforcés par une morale chrétienne omniprésente. Son profil est celui d’une femme plutôt instruite (elle est inspectrice de l’enseignement) et cependant complètement conditionnée par le regard des autres, et obsédée par la volonté de se conformer aux normes. Transcendée par l’amour maternel, elle parviendra à sublimer sa force intérieure pour se mettre au service de sa communauté et aider les autres femmes à s’installer au gouvernail de leur vie.

2. Monindje, la dévote castratrice

C’est la mère de Rita. Carrée et intransigeante, elle présente la figure de la femme qui se croit vertueuse et qui critique ceux qu’elle estime vicieux. C’est une conservatrice qui place sa volonté de préserver sa réputation au dessus de tout, y compris du bonheur de sa fille. Veuve dédiée à sa communauté religieuse, elle est la principale responsable des erreurs commises par sa fille puisqu’elle ne lui a donné aucune éducation sexuelle. L’ auteure met en exergue l’aspect hypocrite de son caractère, puisque, même après la chute de Rita, elle continue de médire des filles dans la même situation. Elle met également en lumière son manque total de culpabilité, tant que les apparences sont sauves. Cette bondieusarde qui n’est motivée que par son aspiration à accéder au paradis, est l’archétype de la dévote peu scrupuleuse. Sa sainteté feinte et sa dévotion de façade m’ont évoqué l’archidiacre Claude Frollo du Notre-Dame de Paris de Hugo.

Clarisse Nomaye

3. Kernan, la copine malfaisante

Kernan est la meilleure amie de Rita. C’est elle qui initie sa copine aux pratiques sexuelles répréhensibles. C’est encore elle qui l’accompagne dans sa tentative d’avortement. C’est enfin elle qui révèle le lourd secret de Rita. Cette « peste au verbe facile » qui tenait à prendre du bon temps avant qu’un homme ne lui mette « la chaîne aux pieds pour toujours » est le personnage féminin le plus progressiste du roman. Mais c’est aussi une dévergondée sans parole et sans vergogne.

4. L’amante manipulatrice sans nom

La maîtresse de Bornon (mari de Rita), que la romancière semble mépriser, au point de ne pas mentionner son prénom est le personnage le plus manipulateur et le plus vil du roman. Porteuse du Vih Sida, elle contamine son amant Bornon, et par ricochet sa femme et sa fille, non sans avoir, au passage, convaincu l’homme de s’éloigner de son épouse. À l’instar des cousines de Bornon peu avant elle, cette veuve, manifestement pas adepte de la solidarité féminine, aurait probablement usurpé le mari si la nouvelle de sa maladie ne l’avait contrainte à s’éloigner de la localité.

5. Kemsol, l’innocente martyre

Kemsol est sans doute le personnage le plus émouvant du roman. C’est la fille de Rita, contaminée par le Vih Sida, donc victime innocente des choix incongrus de ses parents. Le roman s’ouvre sur une visite de la mère sur la tombe de sa fille. La romancière fait de ce personnage le symbole du mariage raté de ses parents. Née dans le mensonge, Kemsol mourra dans le mensonge, puisque sa mère, qui n’a pas eu le courage de divorcer après la trahison de son mari et son éloignement d’elle, n’aura pas non plus la hardiesse d’annoncer à sa fille, le mal dont elle souffre.

En somme…

Ce roman est un procès en règle des apparences que certains pensent être le reflet d’une certaine stabilité de la société. À travers des personnages féminins forts, Rita la femme qui veut une famille à tout prix, la mère qui tient à avoir une fille parfaite, la dévergondée qui ne réfute pas les pesanteurs sociales mais qui veut s’encanailler au sens de Rimbaud avant de rentrer dans les cordes, Nomaye décrie les masques que les hommes et les femmes portent au quotidien pour donner le change. Et pour elle, il ne s’agit pourtant que d’un leurre, car, à l’instar de la fille issue du mariage de Rita qui meurt, ces faux-semblants ne sont qu’enfumage et hypocrisie. L’auteure termine pourtant sur une note d’espoir : le bonheur est possible, à condition d’ôter les déguisements et de vivre une existence, non pas jouée, non pas grimée, mais réelle et concrète. À condition donc d’être, non pas de paraître.

Clarisse Nomaye, Une famille absolument, EDILIVRE, 2016.

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