
J’ai eu le plaisir de rencontrer récemment l’auteur du récit L’ormerta du viol, alors qu’il était de passage à Cotonou. Il m’a fait le plaisir de passer m’offrir son ouvrage, et comme il y avait ajouté du chocolat de grande qualité (fabriqué en Allemagne où il vit), j’ai été si obnubilée par ces friandises, que j’ai oublié de lui demander une dédicace…
Qu’importe ? La couleur rose-fuschia de la couverture m’avait conquise d’emblée, et je devinais déjà, par devers cette vitrine, une prise de position claire de l’auteur en faveur des femmes. J’ai pourtant mis plusieurs jours avant d’oser ouvrir ce livre. Inconsciemment, je porte en moi, comme toutes les femmes j’imagine, ces moments manqués, ces instants quasiment refoulés dans le subconscient où, toutes autant que nous sommes, nous avons pu être les victimes d’une société patriarcale où la femme est conçue par beaucoup, y compris par quelque femme, comme cet être marginal et hystérique, que certains n’hésitent pas à réduire à l’état d’objet. Car oui, cet ouvrage aborde un sujet aussi grave que tabou : celui du viol. Je voudrais, avant d’aller plus loin dans ce texte, remercier M. Kouagou qui m’a fourni l’occasion d’aborder ce thème sans paraître une rombière pithiatique, aigrie et passablement frigide. Puisqu’il m’a fallu lire ce livre, et y découvrir tout ce que je craignais d’y trouver. J’y reviens. Ici, c’est un homme qui prend la parole, pour crédibiliser le vécu de la femme, de plusieurs femmes dont la dignité a d’autant été bafouée, qu’elles ne peuvent même pas prétendre au statut de victimes.
Qu’est-ce qu’un viol ?
Ce récit raconte le parcours d’une jeune femme, Doniella, confrontée à plusieurs tentatives de viol tout le long de sa vie. Le viol ici décrit n’est pas seulement physique, il passe également par le harcèlement moral et les blessures psychologiques.

En retraçant la vie de ce personnage, l’auteur nous donne une large palette de toutes les épreuves que peuvent, que doivent endurer les filles, déjà lors de l’adolescence, à l’école et dans les centres d’apprentissage, mais même plus tard, dans la famille ou dans le monde du travail. Le récit pourrait être assimilé à celui d’une longue agression, toujours ininterrompue, faite de plusieurs séquences de violences morales et physiques. D’ailleurs, comme tout le monde peut le savoir, le viol implique l’usage de la contrainte et de la force, et comporte forcément un aspect lié au sexe… Toutefois, au-delà de l’intimité de la femme profanée que cette offensive suppose, l’auteur insiste sur la violence physique, qui laisse aussi des séquelles sur le corps, et sur l’âme.
Des personnages contrastés
Le personnage principal de l’œuvre, Doniella, est dépeint par l’auteur sous les traits d’une jeune fille déterminée, dont la droiture n’a de commune mesure que la pauvreté de son milieu d’extraction sociale. Refusant la facilité de céder à la possibilité de monnayer son corps pour améliorer son ordinaire, elle brave de multiples tentatives de viols. Cette jeune fille, délaissée dans le monde, même pas préparée à en affronter les affres, réellement confrontée aux malheurs de la vertu, m’a évoqué la Justine du sadique Marquis de Sade. Et si elle est finalement contrainte à transiger, l’auteur a certainement voulu en faire un symbole : celui d’un individu du sexe féminin, confronté à la mécanique huilée d’un système qui le dépasse, pour finir par avoir raison de ses résolutions. Ce revers, si l’on peut l’interpréter ainsi, que subit Doniella, peut être imputé en partie à sa mère, personnage exemplaire par sa vertu, mais qui échoue à protéger sa fille contre un oncle libidineux. Au travers de cette peinture d’une société décadente, Kouagou laisse transparaître une lutte de classes, dans laquelle les riches se font adversaires des pauvres, les premiers prêts à soumettre les autres grâce à leur pécule.

L’origine du monde mal
Kouagou ne se contente pas de relater les faits et de les dénoncer (le choix du récit lui a permis de donner à son œuvre, une dimension moralisatrice que le roman n’aurait pas toléré), il choisit également d’analyser les causes du phénomène. Au fil des lignes, il pose le diagnostic d’une éducation déséquilibrée, selon qu’elle concerne les filles ou les garçons. Il dénonce également le patriarcat qui constitue la racine du mal selon lui, et pointe les déviances d’une société où les scènes de chosification de la femme, à travers notamment les clips vidéo et la publicité porno chic, passent presque pour normales. Enfin, il met l’état au banc des accusés, montrant son incapacité à protéger les femmes malgré des lois aussi prosaïques qu’inappliquées.
Hommes et femmes, tous interpellés
Quelle terre laisserons-nous à nos enfants ? C’est là le titre désormais célèbre de la traduction en français de l’essai Science and survival du biologiste et essayiste américain Barry Commoner. Si la réponse, en forme de contraposée est bien connue (quels enfants laisserons-nous etc…), l’on a envie de se demander, à la fin de la lecture de ce livre, quelle terre laisserons-nous à nos filles ? Une société phallocrate, où chaque enfant, chaque femme, est la victime potentielle d’un viol, incapable ensuite de dénoncer son agresseur, croulant sous le poids de la honte et de la culpabilité, puisque, dans tous les cas, toute violée est automatiquement considérée comme suspecte ? Un monde où les bourreaux de ces filles sont glorifiés, et les victimes accusées d’avoir « provoqué » d’une manière ou d’une autre leurs tortionnaires ? Par ces moments où le #metoo (en français #balance ton porc) a fait descendre nombre de prédateurs sexuels de leurs libidineux piédestaux, l’auteur ici semble avoir choisi de répondre frontalement à ces questions, en posant déjà le problème. Parce que c’est là toute la force d’un livre : poser un problème, puis laisser le monde braire, ou pas… Et je pense, avant de clore cette chronique, à ce mot qui désigne le phallus dans ma langue paternelle, le torigbé : ahouan. Ce mot polysémique, signifie également « guerre ». C’est ici que cette polysémie prend tout son sens, quand on voit combien, tout le long de ce récit, cet instrument, en principe de plaisir, peut être mué en outil de torture, un peu comme dans de nombreux conflits où les sévices sexuels sont usés comme de véritables armes de guerre. Le propos de Kouagou est donc d’en appeler à la conscience de chacun des porteurs de cet armement potentiel, pour qu’ils en fassent le meilleur des usages. En toute responsabilité. Pour briser l’omerta du viol.
Carmen Toudonou
Carmen a les yeux d’aigle. Ils ont vu plus loin que ceux de l’auteur. Merci pour l’article plus qu’édifiant.
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Merci beaucoup cher auteur. Vous m’avez donné l’occasion de parler de ce sujet important et délicat.
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