Note de lecture : « Dans l’œil du lion » de Ouadih Dada

Il n’y a pas meilleur ressenti que la certitude d’être restée présente à l’esprit d’un ami qui a voyagé quelques jours loin de vous. C’est un bonheur qui se matérialise lorsque vous recevez un cadeau de cette personne, notamment un cadeau qui vous correspond à un tel point que vous vous rendez compte qu’il ne peut que constituer la marque d’une grande d’amitié. Parce que m’offrir un livre, et quel livre, le livre d’un journaliste, c’est résumer en un seul geste tout ce que je suis : journaliste et passionnée de belles lettres.  Vous l’aurez donc compris en un mot comme en 103 (si, si, je viens d’en écrire 103, vous pouvez compter, enfin 115 maintenant) que le livre Dans l’œil du lion, m’a été offert par un ami de retour d’un séjour dans l’empire chérifien. Aussitôt reçu, j’ai dévoré cet ouvrage en quatre ou cinq heures, à la faveur d’une certaine nuit blanche…

Le livre est une autobiographie relatant les douze années passées par l’auteur à l’affiche de la chaîne de télévision marocaine 2M comme présentateur vedette du journal télévisé en prime time. C’est avant tout le récit palpitant d’une formidable aventure humaine, de tranches de vie hors-norme, d’un destin particulier, vécu au prisme de l’œil du lion, qui ici (ce n’est que ma lecture) désigne l’objectif de la caméra, dont la prunelle châtaine a pu évoquer pour moi, à mes heures de présentatrice de télé, le regard d’un fauve.

Tranches de vie au prompteur

Ce troisième ouvrage de Ouadih Dada raconte le parcours d’un jeune marocain né en hexagone de parents immigrés, et qui se passionne de journalisme. Formé au métier en France, il se rend au Maroc pour un stage dans la chaîne 2M, avec l’intention de retourner au bercail à la fin de son séjour. Mais c’est sans compter avec le sort qui fait que, 5 mois à peine après, il se voit proposer le prestigieux poste de présentateur du JT. La fulgurance de cette ascension alimentera d’ailleurs les rumeurs les plus extravagantes sur un possible coup de pouce, ou l’obtention d’éventuelles faveurs.

Profitant des lignes de son œuvre pour rétablir la vérité sur les conditions de sa réussite professionnelle, l’auteur peint de grands traits l’univers des médias en général et de la télévision en particulier, un monde où la course au scoop peut prendre des proportions surréalistes, mais où règne paradoxalement un esprit de corps et de camaraderie pouvant se manifester au moment où l’on s’y attend le moins. Dada raconte les petites mesquineries entre collègues, le bizutage du jeune professionnel tout juste âgé de 25 ans quand il déboule à la rédaction, des rêves passionnés plein la tête. En filigrane, il dénonce l’immixtion du politique dans la gestion du quatrième pouvoir, surtout dans nos pays où l’indépendance de la presse reste une vue de l’esprit, même dans le cas d’une chaîne comme 2M financée seulement à 5% par le budget de l’Etat.

Aventure humaine

Outre les passages purement liés à son parcours journalistique, l’auteur, avec pudeur et tout en retenue, évoque quelques faits marquants de sa vie privée, notamment la perte de son frère cadet, un événement qui le marque profondément, et qu’il relate avec des mots touchants. De ces lignes, affleure un amour profond pour la famille – le père toujours rieur, la mère de famille dévouée, les sœurs aimantes, les fils adorés. La grande absente dans ce kaléidoscope familial, c’est bien l’épouse, ou en tous cas la mère des enfants.

Passionnément amoureux de sa famille proche donc, Dada l’est aussi de ses deux patries : la France et le Maroc au début, l’Empire Chérifien et l’Hexagone vers la fin du livre. Le journalisme lui aura, en effet, permis de découvrir et d’aimer ce pays qui est le sien, le Maroc, son désert, ses paysages de montagne, ses villes bruyantes, surtout son roi qui fascine tant le royaliste Ouadih Dada.

Un style saisissant

Le style de rédaction est plutôt romancé, avec le maniement d’une langue maîtrisée. Le rythme est tantôt haletant pour camper des situations soutenues comme en début d’ouvrage où, dans une approche quasi cinématographique, l’auteur plonge le lecteur au cœur d’un reportage télé, tantôt lissé pour décrire de beaux paysages ou rendre compte de la morne tristesse éprouvée à l’occasion de la perte du frère aimé. Et au terme de cette relation plutôt aboutie, le lecteur se retrouve à regretter, avec ses « fans », le départ du JT du présentateur, qui a choisi de partir au sommet de la vague, après deux mille éditions du journal présentées.

Ouadih Dada

Au total, Dans l’œil du lion est un livre absolument plaisant que je recommande aux professionnels des médias, aux jeunes qui rêvent d’embrasser la carrière d’Albert Londres et de Alex Chodaton, à tous ceux qui se passionnent comme moi des parcours de vie, simplement à tous les curieux de la vie. L’ouvrage a des relents philosophiques, présentant une réflexion poussée sur la relativité du succès, des succès, et pose la question de l’égo qui peut être très prégnant chez les artistes, catégorie dans laquelle je classe volontiers les présentateurs vedettes. Et j’en suis persuadée, les hommes et les femmes de la trempe de Ouadih ne sont pas juste de simples journalistes, ce sont des alchimistes qui, chaque soir, dans nos salons, viennent nous livrer tous les récents développements de l’actualité. Sous l’œil acéré du lion.

Carmen Toudonou

Publicité