Pipa Wobacho

Source : Pixabay.com

Pipa Wobacho n’en revenait pas. La fenêtre était bel et bien ouverte et les traces de pas du voleur – ou de la voleuse étaient encore bien visibles sur le sol imbibé de rosée. Elle l’avait d’abord pris pour une blague. Infante Mylie l’avait dit et l’avait fait. Ce métier, décidément ne lui convenait plus. Il fallait changer.

 

La veille, tout avait pourtant bien démarré. La fille de la famille, parée de pagnes multicolores attendait déjà, toute tremblante comme la nymphe qu’elle n’était plus. De son prétendant, elle avait déjà eu un mioche. Cette cérémonie de dot tenait lieu de régularisation. Cependant, la jeune promise, grande revendeuse au non moins grand marché de Dantokpa, avait souhaité les choses dans les règles. Le mari, Sovi,  n’était qu’un dépanneur de vélo. N’empêche. Bayi était prête, avait payé. Payé le grand mouton blanc immaculé et cornu. Payée la centaine de pagnes vlisco-wax hollandais. Payés les roses morceaux de kola et l’incontournable bol de faïence blanc devant les contenir. Payées les casiers de boissons, les cartons de vin et de champagne, les bouteilles de liqueurs pour les oncles et tantes – Et, magnificence suprême, payée l’insolente voiture tout terrain, aussi blanche que la mariée n’était plus pucelle.

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La dot est une cérémonie nécessitant tout un rituel mais dont les principales étapes se perdent au fil du temps. Dans ce Cotonou mondialisé de 2018, nombreuses étaient les familles qui devaient avoir recours à des doteuses pro. Dans son cas, Bayi  avait personnellement contacté Pipa Wobacho. Celle-ci avait ainsi déplacé son groupe de dix dames pour transporter les dons et faire la musique, en lieu et place des oncles et tantes de Sovi, du reste non informés de l’hymenée de leur rejeton : une grande étendue d’eau et de misère sépare Ganvié de Cotonou, et en s’unissant à lui, Bayi avait opéré la coupure définitive du cordon ombilical de Sovi d’avec « ces gens » comme elle les nommait.

Comme l’exigeait  la coutume, Sovi, le marié n’avait pas mis pied sur les lieux et c’était tant mieux car Bayi n’affectionnait pas vraiment s’afficher avec lui. La cérémonie fut une franche réussite. La mariée se changea dix fois, avec des toilettes plus belles les unes que les autres. Les marieuses pro firent une grosse recette composée de dons des membres de la famille de Bayi. C’est sur le chemin du retour que tout se gâcha. L’Infante Mylie vint demander à Pipa Wobacho de faire le point des recettes. Inédite effronterie!  La rébellion était lancée. Les autres femmes se joignirent à Mylie. Elle s’entêtèrent tant et si bien que Pipa du compter l’argent devant elles :

– Un million trois cent soixante dix mille. Cent trente sept mille par tête, tcha tcha tcha! Eya!

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Pipa Wobacho était dépassée. Ces filles étaient folles. Elles n’avaient pas idée de ce qu’elles racontaient. D’habitude, elle comptait l’argent dans la discrétion de sa maison et leur donnait ce qu’elle voulait. Et sa volonté n’avait jamais dépassé la somme de 10. 000F par dame. Voilà que…

– Calmez vous. Tout ceci sera réglé demain. On partagera puisque c’est ce que vous souhaitez.

Les dames fulminaient. Elles finirent par s’en aller, emmenées par l’Infante Mylie.

– Tu le regretteras toute ta vie. Et tu auras 5F.

 

Tu auras 5F. Elle n’avait pas compris ces propos sur le coup. Ce matin, toute la recette de la veille avait été emportée par le voleur – la voleuse. Et dans l’enveloppe, l’on avait placé une unique pièce de 5F…

 

Pipa Wobacho pleurait maintenant. Elle pleurait et réfléchissait. Puis elle prit une décision.  Autant les gens ne savaient plus doter leurs filles, autant ils ne savaient plus pleurer leur mort. Pipa Wobacho elle, avait les larmes faciles. C’est ce matin là qu’elle changea de métier, migrant d’une profession collective à une autre plus solitaire :  Pipa Wobacho se fit pleureuse professionnelle. Elle est toujours, à l’heure où j’écris ces lignes, dans ce métier fort lacrymal et lucratif…

 

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