Mémoires d’ivrognerie : 8e et dernière partie

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J’ai appris ma nomination au poste de ministre du Sous-sol par bande défilante à la télévision nationale. J’avais pris mes distances avec Papa-Opposition. J’estimais lui avoir apporté tout ce que je pouvais lui apporter. Oh non, je ne lui en voulais pas du tout. Même pas. J’avais perdu jusqu’à la force de lui en vouloir. Les choses étaient ensuite allées très vite dans ma vie. La construction de ma maison, puis le remaniement, puis ma nomination au ministère de la Famille. Beaucoup, dans ma nouvelle famille politique, ne m’aimaient pas, me considérant comme un militant de la dernière heure. Ce n’était pas grave. Ils considéraient que mon passage du Sous-sol à la famille était une déchéance, une sortie crescendo du gouvernement qu’ils auraient ambitionnée plus abrupte. Il n’en était rien. Le ministère de la Famille pilotait beaucoup de projets, et je me rendis vite compte que toutes ces bonnes femmes qui avaient écopé de ce portefeuille avaient pu s’en mettre plein les poches. Je ne me plaignais pas. Enfin, mes nouveaux amis-adversaires pensaient que l’histoire d’amour entre le président et moi était sur le déclin. Sur ce point seulement, ils n’avaient pas tort. Car dès mon entrée au gouvernement, le président qui, autrefois, m’appelait directement sur ma ligne privée, devint froid et distant. Comme un homme qui se rend compte au lendemain de ses noces, qu’il a fait un mauvais choix, il m’évitait scrupuleusement et ne s’adressait à moi que dans de rares cas, et encore avec une froideur qui me glaçait jusqu’aux muscles les plus insoupçonnés.

A contrario, ma prédécesseure au poste, nommée conseillère aux affaires familiales du président de la République après sa sortie du gouvernement, bénéficiait de toutes les faveurs et avait accès direct au grand bureau présidentiel. Je devins jaloux de cette situation embarrassante, telle une seconde épouse qui se rend compte que c’est encore la lune de miel avec la première. Mes fiches n’étaient jamais considérées. Qu’importe ! L’argent fusait à flot et j’aurais ensuite tout le temps pour philosopher.

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Hélas, toute chose commencée est destinée à s’achever. Je fus débarqué du gouvernement par un frais matin de juillet alors que j’inaugurais un centre de prise en charge des handicapés placé sous la tutelle de mon désormais ex-ministère de la Famille, des hommes, des femmes et des enfants, des jeunes, des vieux, des handicapés, sourds, aveugles, muets, sourds-muets, éclopés, culs de jatte et autres handicapés, des orphelins de père et ou de mère, des veuves, des veufs, des blessés de l’ancienne guerre, de la solidarité nationale, de la prospérité partagée et du bien-être social. Il était treize heures quand la cérémonie prit fin et je passais service à seize heures.

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Depuis mon entrée au gouvernement, j’avais coupé les ponts avec Papa-Opposition. Un soir, une tendresse soudaine me prit. Je composai son numéro sans vraiment savoir ce que j’allais lui dire. Heureusement que quelqu’un a inventé le mot « bonsoir ». Les choses pourraient toujours démarrer ainsi, me disais-je, le cœur palpitant pendant que le téléphone sonnait. Le vieillard ne décrocha pas : je fus soulagé. Le soir où je fus débarqué, il me rappela curieusement après le journal télévisé que j’avais soigneusement évité de regarder pour ne pas revivre ma déchéance. Cette fois-ci, c’est moi qui restai coi.

Le lendemain, les choses rentrèrent dans l’ordre. Je fus nommé conseiller spécial du chef de l’Etat aux affaires du sous-sol. La belle vie pouvait reprendre. Elle n’atteint plus jamais le train que je menais comme ministre, toujours entre deux avions, les frais de mission plein la poche et une maîtresse en joker dans la manchette. Puis je dégringolai encore, organisateur-mobilisateur pour les meetings du parti présidentiel puis attaché de cabinet de ministre. Je ne battais plus grand pavillon. Ma première épouse fut la dernière à me quitter. Elle avait tenu bon trente ans. Mais avec l’alcool, je devenais méchant. Et mon addiction pour les petites filles, loin de décliner avec la baisse de mes recettes, empirait. Me montrer avec une belle femme était le dernier luxe qui me restait à portée de main. La maison resta grande et trop vaste à présent que j’y habitais seul.

***

Un jour, je me suis retrouvé tout seul en pleine nuit dans une ruelle sordide d’Abomey. Enfin, je présumais que j’étais toujours dans Abomey. Je n’avais pas pu quitter la ville. Je m’en persuadai. J’étais au bord d’un trottoir, juste haut de vingt centimètres. Le pied gauche en équilibre précaire sur la chaussée, j’essayais désespérément de poser le droit sur la bordure du trottoir. Ma jambe était encore plus lourde que dans mes pires souvenirs d’ivrogne : j’étais sacrément cuit ! Je me regardai ; mon pantalon d’un blanc immaculé était à présent une manière de tableau de peintre cubiste mal inspiré, présentant toutes les nuances de la couleur de la boue. Et seulement, je remarquai les enfants autour de moi qui me jetaient des pierres et me chantaient la mélopée des biturés :

Tchaintchainbobo

Enongomin man moun go

Ahan nou mou non premier…

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Et tout ceci était rythmé de rires sarcastiques, sous les regards complaisants des adultes. Un jeune passa et me lança un « SG », plutôt de moquerie que pour me saluer. Je n’arrivais toujours pas à enjamber ce trottoir et je ne voulais surtout pas renoncer à l’initiative. J’assistais pantois à l’abdication de ma volonté. J’aurais aimé pouvoir m’échapper de cet endroit, surtout m’en aller loin de la fumée des voitures qui me frôlaient de trop près. Je finis par m’affaler sur ce bout de trottoir. Je singeai Jean. J’ai dû me réveiller, sans doute dégrisé par la rosée et l’air frais du grand matin : je venais de passer ma première nuit à la belle étoile. Je voudrais qu’elle soit la dernière…

Je suis Alfred Nonvignon, ex-ministre, ex-député, ex-conseiller spécial du chef de l’État, ex organisateur-mobilisateur de meetings politiques, ex-attaché de cabinet du ministre de la Décentralisation, ex-attaché de cabinet du sous-secrétaire d’État aux finances. J’ai honoré l’invitation de ma fille aînée. Je passe en ce moment une semaine avec elle à Cotonou. J’ai entamé une cure de désintoxication. Une semaine sans Iya ? Autant mourir. J’ai gardé le contact avec elle par téléphone. Non, je ne compte pas y retourner. Enfin… Simplement, entendre sa voix me rassure. Papa-Opposition n’est plus Papa-Opposition. Il a enfin remporté les élections. Je ne l’appellerai pas.

Nous voici à la fin de cette saga. J’espère que vous avez aimé la nouvelle. Faites le savoir par un simple  »j’aime » ou un commentaire. Merci.

Carrmen

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