Mémoires d’ivrognerie, 6e partie

Je menais désormais grand train. Le poste de Secrétaire général est assorti d’un certain nombre de commodités strictement matérielles qui n’étaient pas du tout négligeables aux yeux du simple enseignant que j’étais. Béatrice fut d’abord comblée par ce changement dans nos vies, qui avait pour conséquence directe, une augmentation du montant de la popote, un transfert de nos enfants de l’enseignement public vers des établissements privés et l’ouverture d’une boutique tout achalandée pour madame qui n’avait jamais travaillé. Elle fut logiquement mauvaise commerçante, n’ayant jamais appris ce métier. Mais puisque l’argent foisonnait désormais dans ma bourse, je constituais en quelque sorte la garantie de ce commerce tout juste de prestige.

Béatrice déchanta lorsque ma nouvelle aisance me fit ne plus m’embarrasser de précautions pour cacher mes infidélités et je ne tardai d’ailleurs pas à lui annoncer que j’avais fait une gaffe : une copine attendait un bébé de moi. Elle s’emporta dans une fameuse scène de jalousie qui dura cinq jours et cinq nuits ; cinq nuits que je passai, non pas à la maison mais dans les bras de l’incriminée qui bénéficiait d’un bail de location payé par mes soins. Tout ceci se solda par une annonce encore inenvisageable de ma part quelques mois plus tôt : j’allais prendre ma Rosalie comme seconde épouse. Pourquoi se contenter d’une lorsque tant et tant de femmes vous ouvrent les bras et bien d’autres membres encore pour affinités ?

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Contre tout pronostic, mon épouse fulmina mais resta. Elle avait fini par se persuader que mon attitude avait pour seul objectif de l’écarter de ma réussite après tant d’années de souffrance collective. Elle assurait que je lui tendais un piège dans lequel elle éviterait de tomber en me quittant. Pour ma part, je n’étais pas certain qu’elle serait restée dans les mêmes conditions si je n’étais pas devenu riche. Qu’importe, tout ceci s’arrangea avec la remise d’un énième chèque conséquent pour le renflouement de son commerce de pagnes.

J’étais donc officiellement polygame à trente-cinq ans. Ma famille adorait ma nouvelle épouse. Moi je les aimais toutes les deux, avec une pointe de respect pour la première qui m’avait adopté pendant les jours de vache maigre. Les coépouses, sans s’aimer réellement, s’entendaient sur le minimum. Elles se voyaient très peu, sauf les jours où je m’offrais un petit supplément en les emmenant toutes les deux dans ma voiture pour des cérémonies, goûtant ce plaisir unique de se sentir désiré par deux personnes en même temps. Ce modus vivendi devait se poursuivre avec mes troisièmes noces…

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D’un point de vue politique, ma popularité ne cessait de grandir car j’étais désormais le porte-parole du parti, toujours d’opposition. Je voyais très fréquemment Papa-Opposition dont j’étais devenu le bras droit. J’accomplissais plusieurs missions, secrètes et officieuses pour la plupart, pour le compte du parti. Le vieil homme avait fini par oublier sa défiance légendaire pour me faire entièrement confiance. C’est dans cette période que je reçus pour la première fois l’émissaire du président de la République. J’étais très méfiant. Je redoutais un piège. Je n’aimais pas les méthodes du président. Je n’aimais pas le président. Mais l’émissaire m’avait rassuré. Il était venu avec un chèque, un don désintéressé de son chef. Je devais décharger le chèque. Je refusai. Je ne voulais pas me compromettre, mais le montant était conséquent : cinq bons millions nets d’impôt. Je passai une nuit blanche. En cinq années de travail avec Papa-Opposition, je n’avais pas gagné autant. De plus, mes charges avaient augmenté plus rapidement que mes entrées pécuniaires, et j’avais de plus en plus de jolies dames à entretenir.

Si bien que lorsque l’émissaire revint le lendemain, toujours avec les cinq millions, mais en liquide cette fois-ci, je résistai faiblement. J’avais pourtant encore des scrupules. Je restais soupçonneux. Je demandai la contrepartie d’un tel don. Il me fut répondu qu’il n’y en avait aucune. J’empochai les sous et remerciai mon vis-à-vis. Il y eut quand même une contrepartie, comme vous allez le voir plus loin. Intérieurement, je ne me faisais d’ailleurs aucune illusion sur ce point…

 Je multipliais alors les conquêtes, à l’intérieur et en dehors du parti. Je pouvais goûter une  allégresse toute nouvelle pour moi, celle de ne pas avoir à compter fleurette à une femme avant de la conquérir. Elles fondaient toutes pour moi au premier coup d’œil. Je n’en revendique aucune fierté aujourd’hui. Je sais désormais qu’elles se pâmaient plus pour mon argent que pour moi, puisque par la suite, en perdant ma fortune, j’ai aussi perdu tout sex-appeal…

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