En ces temps là, c’était très pratique de faire de la politique, quasi hygiénique. Le paysage était aseptisé, la mouvance se mouvait, l’opposition s’opposait. Bien sûr, tout comme maintenant, rien d’idéologique ni de fondamental ne divisait ces deux tendances, hormis la volonté de conquérir et d’exercer le pouvoir d’État. Placer les cadres du parti, être des noces du partage du gâteau national, ainsi semblait se résumer le programme politique de toutes ces formations. Les discours s’allongeaient en longues diatribes, le pouvoir en place citait de façon monocorde ses réalisations, son bilan comme il disait. « Les amis d’en face » faisaient le réquisitoire du gouvernement, dénonçaient les magouilles, la gabegie, les prévarications, la mal-gouvernance. Ils promettaient une société dans laquelle il ferait mieux vivre pour tous. Ils construiraient des gratte-ciels, des boulevards, des échangeurs, des écoles, des hôpitaux de référence, des ports et des aéroports, une croissance à trois chiffres. Le gouvernement promettait pareil. « Les amis d’en face » rétorquaient : « Pourquoi n’ont-ils pas fait tout ce qu’ils vous promettent pendant le mandat qu’ils viennent de terminer ? Ils mentent ! ». Ce à quoi « Les amis d’en face des amis d’en face » répondaient : « Ils ont eu tout le temps dans ce pays pour faire tout ce qu’ils vous promettent. Ils n’ont rien fait. Ils ont mis le pays à genoux. Nous l’avons redressé, donc ils mentent ». Tout le monde mentait donc, le peuple lui, avait à voter.

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Cependant, Papa-Général semblait avoir un supplément d’âme. Absolument dédaigneux du luxe mais amoureux transi de la fonction suprême, il détonait un peu dans le décor.
Pour Papa-Opposition, c’était une toute autre histoire. Dois-je l’avouer encore à présent ? Je l’aimais, je l’aime toujours. Et comme toutes les histoires d’amour, la nôtre n’a pas échappé à la houle des passions.
Au début, l’on me demanda juste de louer une maison, d’en faire le siège de campagne du parti et d’assurer la permanence toutes les fois que je n’étais pas pris par mes occupations professionnelles. Je baillai une toute petite boutique au carrefour Moquas, qui resta fermée la plupart du temps, mais dont le géant poster tout sourire de Papa-Opposition posé à la façade, suffit pour assurer une présence toute relative de mon candidat dans la ville.
Les derniers jours de campagne, je rencontrai une seconde fois l’espèce de sbire aux dents mauvaises qui était venu de Cotonou me proposer mon poste. Il me reprocha mon manque d’initiative. Il avait apporté des posters, des dépliants et des drapeaux à l’effigie de Papa-Opposition souriant. Il avait aussi une enveloppe d’argent qu’il me remit avec une certaine hésitation. Je devais organiser deux rencontres de proximité, à Bohicon et à Abomey. Les photos de la manifestation devaient faire foi.

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Ma mission était de réunir les populations, surtout les femmes et les jeunes pour leur dire de voter pour notre candidat. Mon contact m’avait laissé un numéro de téléphone. Il voulait que je l’informe des dates des deux rencontres. Il assurait y prendre part, pour peu que son agenda surchargé le lui permette. Il avait la charge de la coordination de tout le département. Il était un homme très pris. Il s’en retourna vite vers ses multiples occupations.
Je comptai l’argent. Il y en avait pour un million. Tout fonctionnaire que j’étais, c’était pour moi un pactole. Je divisai l’argent en deux, organisai une seule réunion et envoyai beaucoup de photos, sur lesquelles ne se lisait pas particulièrement l’engagement de l’assistance. On m’avait demandé de mobiliser, pas de convaincre. Le zèle me vint bien plus tard. Plus tard aussi, je sus que mon contact avait perçu le double de l’argent à moi remis de son supérieur immédiat dans le parti, lequel avait reçu quatre millions de son supérieur, ce dernier ayant obtenu dix millions de Papa-Opposition pour les deux mobilisations du Zou.

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Je craignais la colère de mon contact pour n’avoir pas rempli le cahier des charges. Lorsqu’il revint, il paraissait satisfait. Il me dit que je n’étais pas comme ces coordonnateurs de campagne qui s’évanouissent dans la nature après avoir perçu de l’argent.
– Tu as fait du bon travail ! Papa-Opposition va apprécier. Papa-Opposition aime le travail bien fait. Papa-Opposition est un perfectionniste, tu verras. Continue ainsi, tu feras une bonne carrière politique.
C’était donc aussi facile de se faire de l’argent en politique ! Ma nouvelle vocation était trouvée : politicien, politique, politicard, tout ce que vous voulez. Je désirais désormais gérer la cité. J’eus brusquement soif de pouvoir et d’argent. Le besoin de jolies femmes, de toute-puissance et de grandeur me vint à l’improviste, comme un mal subit, d’une rare acuité. Le parti et la politique en étaient l’antidote…
Ces élections-là, Papa-Opposition les perdit. C’était aussi un peu ma faute, mais personne ne semblait s’en apercevoir, car nul ne me le fit remarquer.
La suite la semaine prochaine.
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