Mémoires d’ivrognerie : Nouvelle en épisodes

Mémoires d’ivrognerie

Première partie

Je picole tous les soirs chez Iya. Chez Iya, l n’est pas vraiment un bar. Iya est une vieille à la peau toute ravinée, mais le genre de vieille dont on comprend dès le premier contact qu’elle a été jolie et même galante dans une autre vie. Petite, mince et l’œil vif, elle a gardé aux jambes des sortes de tatouages bleu-nuit, qui étaient le comble de la coquetterie à son époque. De ce temps révolu, elle a conservé un langage cru, à la limite de l’indécence mais qui n’est pas pour émouvoir outre mesure des oreilles blasées d’alcoolique de mon espèce.

Source : Pixabay

Iya tient un petit commerce hétéroclite, elle vend des bonbons, des biscuits de 25F, du chewing-gum, des cure-dents à l’unité, du kalaba, sortes de petits blocs de roches comestibles dont raffolent les femmes enceintes, des comprimés de pénicilline, des gélules d’antibiotiques mikpogokpo rouge-noirs ou rouge-jaunes, qui doivent leur désignation au fait qu’ils sont destinés à être avalés tels quels, d’où le nom qui veut dire littéralement « à avaler avec le contenant », des boules d’éponges végétales, des peignes, des cigarettes gauloises aux paquets bleus qu’elle est encore la seule à commercialiser dans toute la ville d’Abomey (Dieu sait qui les lui fournit !), des savonnettes, des bouillons de cube pour les sauces des ménagères alentours, du papier hygiénique made in Nigeria – et bien sûr, du sodabi.

L’échoppe est localisée sous un petit hangar qui ne paie pas de mine, juste à l’entrée de la ville. Iya a quelques tabourets mal emboutis derrière son étalage, sur lesquels nous nous installons à longueur de journée, enchaînant les « six », les « quart », et pour les jours de gêne, les « talokpemi » de sodabi que nous buvons alors par petites gorgées pour faire durer le plaisir.

SODABI-SUPER

Il se raconte en ville que l’espèce, la qualité, la carrure de sodabi  que Iya déverse dans nos œsophages est la pire de la ville, que lorsqu’un alcoolique atteint un degré d’ivrognerie tel qu’il prend quartier chez Iya, il devient irrécupérable, que la vieille a une recette secrète, qu’elle a concoctée en faisant séjourner les petits verres à boire « talokpemi » à la rosée de nuits entières sur des tombes dans le cimetière central, et que cette recette fait de nous, ses clients, des patients désespérés pour la médecine. Ce que je puis affirmer moi, d’une part, j’étais alcolo-dépendant avant d’intégrer le cercle sélect des clients deIya, et par ailleurs, la liqueur que nous livre la petite vieille est la meilleure de toute la ville, et Dieu sait si j’en ai goûté, du sodabi dans ma vie. Pour moi, il y a les autres, et il y a Iya.

Source : Pixabay

La vieille a une composition exceptionnelle qu’elle devrait, de mon humble point de vue, faire breveter à l’Ompi. Car n’allez surtout pas penser que la tenancière nous vend de l’alcool de palme non aromatisé. Non ! Ce qu’elle nous sert est connu sous le nom de « jaune ». Le précieux liquide est « assaisonné » de diverses racines et plantes, ce qui en fait un réel médicament : nous ne buvons pas, nous nous soignons !

…la suite la semaine prochaine…

Si vous avez aimé, faites savoir par un commentaire ou un  »j’aime » !

Publicité

2 réflexions sur “Mémoires d’ivrognerie : Nouvelle en épisodes

  1. Un apéritif naturellement alléchant. Vous avez une plume tellement naturelle qu’elle nous plonge en nous-mêmes. Hâte de déguster la suite.

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s